Dans le cadre de l’élaboration de son avis sur la mendicité dans la société marocaine, le CESE a sollicité, entre le 7 et le 28 juin 2023, la contribution des citoyen.ne.s à travers sa plateforme « ouchariko.ma ». Cette consultation a connu une forte participation, avec la contribution de 4783 personnes qui ont répondu au questionnaire du sondage. Les internautes ont également été nombreux à réagir à la consultation, en publiant des commentaires sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux. Les résultats de la consultation font ressortir les perceptions d’une partie de la population, principalement citadine et jeune, de la question de la mendicité. Les principaux enseignements qui émergent de ces résultats ont été pris en compte dans le présent avis du CESE.
Caractéristiques de l’échantillon
Les 4783 participant.e.s au sondage constituent un échantillon ayant des caractéristiques spécifiques. En effet, l’échantillon est composé aux trois quarts (74,27%) d’hommes, contre seulement 25,73% de femmes. Les participant.e.s sont dans leur écrasante majorité jeunes (69,52% âgés entre 25 et 44 ans) et actifs (79,47%). 53,91% d’entre eux sont des cadres, et 10,20% des étudiants. Un peu plus de la moitié (57,74%) des participant.e.s sont issu.e.s des deux régions, de Casablanca-Settat et de Rabat-Salé-Kénitra, et sont dans leur quasi-majorité citadin.e.s (plus de 97%).
Signe de la grande visibilité du phénomène de mendicité dans le milieu urbain, 89,38% des participant.e.s constatent « toujours » des actes de mendicité dans l’espace public qu’ils/elles fréquentent régulièrement, tandis que 8,82% des participants le constatent « souvent ». Ainsi, 96,97% des participant.e.s jugent le phénomène de mendicité très omniprésent (83,56%) ou bien omniprésent (13,1%). Ils/elles sont 98,88% à considérer la mendicité comme un phénomène social grave. Ce constat est largement partagé par les internautes qui ont interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux, et dont les commentaires laissent entendre que le « phénomène est inquiétant et en augmentation constante (ظاهرة مقلقة وفي تزايد مستمر)» et qu’il est « préjudiciable pour l’image du Maroc (ظاهرة مخزية للمغرب)». Ils considèrent le « sujet comme particulièrement sensible (الموضوع حساس بزاف)», d’autant si l’on considère « sa charge émotionnelle (ظاهرة ربما في بعض الأحيان تستنزف مشاعر الناس)». Il convient toutefois, selon les commentaires des internautes sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux, de « lui accorder l’attention nécessaire et de l’étudier dans ses différentes dimensions (إلا أنه يجب إعطاء الأهمية لهدا الموضوع ودراسته من كل الجوانب)».
Les participant.e.s à la consultation citoyenne ont principalement attribué la gravité de cette situation au fait qu’elle soit un symptôme révélant l’ampleur du véritable problème, la pauvreté. Les internautes ayant interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux ont également confirmé ce constat. C’est ainsi que l’on peut lire dans l’un des commentaires que « la pauvreté est une réalité dans le pays, et qu’il existe des situations bouleversantes (الفقر في البلاد كين وكين شيحويج كيبكيو بزاف الله يدير لينا تويل الخير في بلاد المسلمين)». Certains commentaires soulignent l’effet de la conjoncture actuelle (Covid, sécheresse, etc.) dans la précarisation des différentes catégories de la population (في الآونة الأخيرة لا أحد يستطيع ان يعطيك أي حل أو أي اقتراح لحل هذه المعضلة. ستسألني لماذا؟ لأن العالم قفز قفزة نوعية جعلت من كانوا متوسطي الدخل أصبحوا محتاجين، ومن لم يكن لديهم شيء أصبحوا في خانة الفقراء، ويرد كل عيب للجفاف وندرة الأمطار). Ainsi, « à cause de l’inflation galopante, les mécènes d’hier font la manche aujourd’hui (بسبب الغلاء : حتى من كان يتصدق بالأمس أصبح اليوم في أمس الحاجة للصدقة)». Pour certains, « l’ensemble de la population est tombé dans la pauvreté (كلنا فقراء بدون مبالغة)». Si certains de ces jugements peuvent paraitre excessifs, ils révèlent les effets de l’érosion du pouvoir d’achat sur les citoyen.ne.s, perçus et vécus comme une crise sociale générale, plutôt que comme difficultés personnelles.
La deuxième raison que les répondants au questionnaire invoquent est le fait que la mendicité constitue une atteinte à la dignité des personnes. De nombreux internautes ayant interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE dans les réseaux sociaux ont insisté dans leurs commentaires sur la préservation de la dignité des personnes en situation de mendicité (المهم التعامل مع المتسول بكل احترام وعدم احتقاره او إهانته). La perturbation de l’ordre public engendrée par cette activité, ainsi que les risques d’exploitation par les réseaux criminels se situent au bas des motifs invoqués par les participants.
C’est dans les lieux où les personnes qui les fréquentent sont le plus vulnérables émotionnellement, et donc le plus susceptibles d’être réceptifs aux sollicitations des mendiants et à la détresse réelle ou simulée qu’ils exposent. Ainsi, c’est dans des lieux tels que la sortie des établissements hospitaliers ou des pharmacies que les répondants déclarent croiser le plus souvent des mendiants. Les espaces de la quotidienneté urbaine arrivent ensuite, avec dans l’ordre les alentours des commerces, suivis des parkings, des souks et des marchés, les abords des mosquées et les feux rouges.
Pour faire face au problème de la mendicité, les répondants au questionnaire ont majoritairement privilégié de maintenir le don direct de la charité aux mendiants, ou de passer par des associations qui collectent et emploient les dons au profit des mendiants. Les programmes sociaux publics ne viennent qu’en troisième position. Enfin, les répondants considèrent que la mendicité est un phénomène entretenu par le versement d’aumône aux personnes qui font la manche, et qu’il conviendrait de s’abstenir de répondre aux sollicitations des mendiants pour éradiquer ce phénomène de la société. Cette position est partagée par de nombreux internautes qui ont interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux (التسوّل ظاهرة مشؤومة ابتلينا بها يجب محاربتها قانونيا و مُجتمعيّا. والتساهل معها سيُنشئ أجيالا أخرى من الأطفال لا يعرفون سوى التسوّل كمهنة لهم، و هذا أكبر ظلم لهم). Certains nuancent toutefois cette injonction à refuser l’aumône aux mendiants pour ne pas entretenir le phénomène, et recommandent de s’informer sur leurs besoins concrets et d’y apporter des aides en nature (كل من يتصدق على المتسولين فهو يساهم في استفحال هذه الظاهرة. ولكن هناك طرق لمساعدة من هو في حاجة الى الإعانة مثلا الذهاب إلى أي دكان وأداء ولو جزء بسيط من دين من لم يستطع أداء ما عليه).
1. Aider les mendiants en leur donnant la charité directement
2. Aider les mendiants indirectement en faisant des dons privés aux associations œuvrant dans la lutte contre la pauvreté
3. Aider les mendiants à travers des programmes sociaux de l’Etat et des collectivités territoriales
4. Ne pas aider les mendiants
A la question sur les situations qui peuvent être assimilées à un acte de mendicité (parfois masquée), hormis les cas de demande explicite de charité (67,71%) ou d’aide financière (71,87%), c’est l’activité de gardien de voitures qui est la plus (72,27%) assimilée à une forme de mendicité par les répondants au questionnaire, ce qui est confirmé par de nombreux internautes qui ont interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux (Ce phénomène ne se limite pas aux mendiants tendant la main, mais s’étend également aux porteurs de gilets, qui sont désormais plus nombreux que les voitures garées) (لا تقتصر هذه الظاهرة على المتسولين الذين يمدون أيديهم، بل تمتد أيضًا إلى الأشخاص الذين يرتدون السترات، الذين أصبح عددهم يفوق عدد السيارات المركونة)
Les participant.e.s à la consultation citoyenne se montrent en revanche plutôt indulgents vis-à-vis des personnes qui vendent des produits à prix modeste ou offrent de petits services (mouchoirs en papiers, désodorisants de voiture, porte-clés, etc.), puisqu’ils sont 29,81% seulement à assimiler ces cas à une pratique de la mendicité. Ils sont encore moins nombreux à considérer les personnes ou les troupes artistiques qui se produisent dans la rue comme des mendiants (12,08%).
Concernant les causes principales qui incitent des gens à pratiquer la mendicité, près d’un participant sur deux (49,99%) incriminent l’insuffisance du système de protection sociale et des politiques publiques sociales, et environ le tiers (31,66%) mettent en cause la faiblesse de la cohésion sociale (rupture familiale, régression de la solidarité familiale, etc.).
Les répondants au questionnaire placent ensuite les situations de précarité personnelle parmi les causes menant à des situations de mendicité, à savoir la pauvreté (43,54%), le chômage (40,16%), et l’inaptitude à l’emploi (handicap, maladie, vieillesse, etc.) 34,87%. Les commentaires des internautes sur les pages du CESE sur les réseaux sociaux évoquent également la précarité de la santé mentale comme cause du phénomène de mendicité (العمل على الحماية من الهشاشة النفسية بالوقاية والدعم النفسي والعلاج المبكر فهي طريق إلى التشرد والاستغلال والإدمان والتسول).
Il est à noter que la grande majorité des répondants (88,72%) considère, à tort ou à raison, que la mendicité est une activité rentable qui attire beaucoup de gens. À ce propos, de nombreux internautes ayant interagi avec la consultation sur les pages officielles du CESE dans les réseaux sociaux ont évoqué dans de nombreux commentaires les difficultés à distinguer entre les personnes qui sont véritablement dans le besoin, et celles qui font de la mendicité une profession, voire une activité criminelle (والله دليلي احتار! أشفق على الجميع كل من مد يده لا أستطيع رده أقول هي صدقة لله حتى وإن في قرارة نفسي أعرف أنه نصاب أو أني سوف أشجعه على التسول أو أو أو الله يهدي من هو في غنى عن التسول فهو أشبه بالمدمن على المخدرات).
Quand ils sont sollicités, 67,55% des participants au sondage déclarent donner l’aumône occasionnellement, tandis qu’une proportion non négligeable estimée à 29% ne donne jamais la charité. En revanche, seuls 3% des répondants se disent prêts à toujours aider les mendiants qui les sollicitent. La moyenne des montants de l’aumône que les répondants ont déclaré verser aux mendiants qui les sollicite est de 10,86 dh. Le montant déversé est de 5 dh pour 23,03% des répondants qui déclarent pratiquer cette forme de charité, de 2 dh pour 15,92% d’entre eux, de 1 dh pour 8,39%, et de 10 dh pour 7,96%. Les répondants ont déclaré donner l’aumône prioritairement aux enfants et aux adultes accompagnés d’enfants, puis aux migrants, aux personnes malades aux personnes âgées, ainsi qu’aux personnes en situation de handicap.
À ce propos, les internautes ayant interagi avec la consultation sur les pages du CESE sur les réseaux sociaux ont condamné l’utilisation d’enfants dans des activités liées à la mendicité (أقبح شيء هو التسول بالأطفال؛ يجب محاربة التسول بالأطفال فهي جريمة في حقهم). Ils indiquent par contre que d’autres catégories de personnes devraient bénéficier prioritairement des élans de solidarité des individus, et principalement les personnes âgées (الشيوخ والنساء فقط من يجب أن يجاب سؤالهم. أما الأطفال والشباب والرجال فلا يجب إعطاؤهم أي شيء).
Les répondants qui déclarent pratiquer la charité sont majoritairement motivés par la compassion et d’autres convictions morales ou religieuses (72,67%), même si 16,58% d’entre eux déclarent que leur geste est d’abord motivé par la peur des personnes qui les sollicitent. De nombreux commentaires d’internautes sur les pages officielles du CESE sur les réseaux sociaux rappellent que la charité est un commandement religieux, et que Dieu nous a commandé de ne pas rudoyer ceux qui nous sollicitent. Le verset coranique qui invoque explicitement cet ordre Divin a été évoqué par de nombreux internautes dans leur commentaires « وأما السائل فلا تنهر ». Ainsi, en suivant l’interprétation de certains internautes, tout croyant sollicité est dans l’obligation de donner selon ses moyens, ne serait-ce qu’un sourire ou une bonne parole s’il ne possède aucun bien matériel (إلى عندك ما تعطي عطي إلى معندكش شافك الله فالكلمة الطيبة صدقة). Par ailleurs, selon certains commentaires, l’obligation de donner l’aumône s’impose quelle que soit la condition matérielle réelle du mendiant, du moment qu’il tend la main (الصدقة دايزة في مول العود). D’autres internautes, tout en invoquant le commandement religieux de faire preuve de charité, rappellent le verset qui priorise les destinataires des aumônes, et considèrent ainsi que les mendiants dans la rue ne rentrent pas dans cette catégorie (يجب التعامل مع ظاهرة التسول باتباع تعاليم الدين الإسلامي، يعني في المقربين أولى لأننا مطلعين على أحوالهم).
90,73% des répondants au questionnaire considèrent qu’il faut éloigner les mendiants des espaces publics, et 69,54% souhaitent que la mendicité soit strictement interdite. Les trois quarts d’entre eux (75,05%) proposent d’alourdir les sanctions contre la mendicité. Ils sont tout aussi nombreux (71,84%) à considérer qu’il faudrait procurer de la formation et du travail aux jeunes mendiants pour lutter contre ce phénomène. Les participants, dans leur écrasante majorité (95,47%), ne sont par contre au courant d’aucun programme public de lutte contre la mendicité.
Les internautes ayant interagi avec la consultation sur les pages du CESE dans les réseaux sociaux sont tout aussi partagés sur les solutions à apporter au phénomène de mendicité, et particulièrement sur la question de pénalisation. Ainsi, certains estiment qu’il faudrait adopter une approche intégrée, combinant prévention et répression (الظاهرة تحتاج إلى مجموعة من المقاربات الاجتماعية والتحسيسية والزجرية), ou qu’il s’agit d’une responsabilité de l’Etat qui doit mettre en œuvre des programmes pour parer à l’urgence, et agir à moyen et à long terme (فيجب عليها تحمل المسؤولية بوضع برامج استعجالية وبرامج متوسطة المدى وبعيدة المدى). Certains internautes estiment qu’il faudrait criminaliser la mendicité, voire mettre en œuvre les dispositions pénales qui y sont associées, surtout en ce qui concerne sa pratique à titre quasi professionnel (التسول يعني الشخص الذي يمتهن التسول كمهنة فهي جريمة يعاقب عليها القانون بالسجن فعندما يلقى عليه القبض في حالة التلبس ، يقدم أمام العدالة). Cependant, un traitement pénal de la question de la mendicité, dans certaines de ses formes du moins, ne passe pas forcément par des peines privatives de liberté (الإجابة على مثل هذه التساؤلات التي تطرح لجرد الآراء هو غرامات مالية وليست سجنية حيث اصبح السجن فترة للاستجمام والنظافة). Certains internautes rejettent même l’application de sanctions pécuniaires aux mendiants (مساكن تايطلبوا و باغي تزيدهم غرامة).