Les recommandations du CESE pour la sécurité patrimoniale et la valorisation du patrimoine culturel comme levier de développement

 

Le Conseil économique social et environnemental a organisé, en partenariat avec le ministère de la Jeunesse, de la Culture et de la Communication, une rencontre pour présenter les principales conclusions et recommandations de son avis intitulé « Pour une nouvelle vision de gestion et de valorisation du patrimoine culturel » le 1er avril 2022.

Notre pays est doté d’un patrimoine culturel millénaire, riche et diversifié. Fruit de l’intelligence collective des Marocains, il se transmet de génération en génération et constitue un héritage vivant et une source de fierté qu’il convient de protéger, valoriser, promouvoir et de revisiter.

En effet, en abordant la thématique du patrimoine culturel, le CESE met en avant les dimensions essentielles suivantes :

Une dimension identitaire : qui reflète les traits de la personnalité marocaine, marquée par son unité, sa diversité et son évolution historique. Ainsi, l’intérêt porté au patrimoine n’est pas une question d’importance secondaire, ni seulement une action de marketing pour le rayonnement des destinations culturelles. Il s’agit en effet de garantir une sorte de “sécurité patrimoniale” dans son sens large; un élément qui favorise chez les individus comme la société les liens d’appartenance à la nation, au territoire, à la mémoire et à l’affect commun. A titre d’exemple, l’entretien et la restauration d’un site historique comme celui de “chellah”, où nous nous retrouvons aujourd’hui, permettra de nourrir ce besoin individuel et collectif de “sécurité patrimoniale” (à l’image de la sécurité spirituelle et la sécurité alimentaire). Ce qui nous rappelle que nous appartenons à notre’ « Tameghrabit » profonde, fondée sur les valeurs de coexistence, de mixité et de brassage des cultures et des civilisations humaines qui sont passées par ce lieu.

– Une dimension liée au développement :  le patrimoine constitue un gisement regorgeant de potentiels en matière de création de richesse et de valeur ajoutée, aux niveaux national et territorial. Il contribue également au renforcement de l’attractivité du Maroc à l’échelle internationale et régionale. Ainsi, la culture ne peut constituer un levier de développement durable et spatial, et un mécanisme d’intégration économique et sociale des populations, sans saisir les opportunités qu’offre l’investissement dans la promotion et la protection du patrimoine culturel. Ce n’est pas un hasard si 80% des touristes qui visitent le Maroc sont attirés par ses destinations culturelles, selon les opérateurs.

Une dimension créative : le patrimoine culturel, n’est pas un simple héritage légué du passé, mais un capital vivant, dynamique et résilient face aux défis identitaires, culturels et économiques actuels et à venir. A cet égard, il importe de développer les industries culturelles qui favorisent l’innovation et la créativité dans les différents domaines artistiques et notamment ceux à teneur patrimoniale. En fait, toutes les initiatives et actions menées aujourd’hui dans les domaines de la musique, du cinéma, de l’art plastique, de la littérature, de l’architecture, du design… sont autant d’éléments enrichissant le patrimoine culturel que nous léguerons aux générations futures.

Le CESE relève que notre pays a accompli d’importantes avancées en matière de protection, de classification et de préservation du patrimoine culturel, matériel et immatériel. Il y a également lieu de noter le lancement d’initiatives visant à valoriser certains éléments et expressions de ce patrimoine culturel, engendrant ainsi une dynamique socio-économique dans certains domaines. On peut citer à cet égard :

  • L’organisation d’événements culturels et artistiques, liés au patrimoine, dans plusieurs villes marocaines (Tan Tan, Essaouira, Fès, Assilah, Rabat, ). Ces manifestations ont contribué à positionner le Maroc sur le calendrier des rendez-vous mondiaux et à renforcer le rayonnement culturel de notre pays aux niveaux régional et international.
  • L’inscription, sur les listes du patrimoine mondial et du patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco, de monuments, d’événements et d’expressions culturelles immatérielles, dont notamment : l’art de la tbourida, la dance de Tiskiwine, le moussem de Tan-Tan, l’art de Gnaoua, le Festival des arts populaires de Marrakech, le festival des cerises de Sefrou, la ville de Rabat avec son aspect architectural et ses divers monuments historiques (dont le site de Chellah), qui a célébré, il y a quelques jours, le dixième anniversaire de son inscription au patrimoine mondial de l’UNESCO. De plus, une journée internationale de « l’arganier» a été récemment proclamée par les Nations unies, après l’inscription des différents savoir-faire et pratiques qui lui sont associés sur la Liste du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
  • La dynamique que connait le secteur des musées publics ou privés dans notre pays, et qui contribue pleinement à sauvegarder le patrimoine mobilier dans plusieurs villes et régions. Ainsi, plusieurs musées, jouissent désormais d’une réputation confirmée, à l’échelle nationale et internationale, au vu de la richesse de leurs collections et de leur respect des normes muséales en vigueur.

En dépit des efforts louables entrepris, et la prise de conscience accrue des institutions et de la société quant à l’importance du patrimoine culturel, les différents acteurs auditionnés par le CESE ont convenu que le patrimoine culturel avait besoin d’une forte impulsion en vue de se transformer valablement en richesse matérielle ayant un fort impact socioéconomique, en vue d’en faire un véritable levier de développement.

A cet égard, il convient d’intensifier les efforts, d’améliorer la gouvernance et de renforcer et mutualiser les ressources financières et humaines des différents intervenants, notamment en ce qui concerne :

  • Le parachèvement des processus d’inventaire du patrimoine culturel, notamment le patrimoine mobilier et immatériel, la reconnaissance de ses composantes, son classement et sa sauvegarde, étant donné qu’il était sérieusement menacé de dissipation, d’oubli et de disparition;
  • La faible implication des territoires et du secteur privé dans la gestion et la valorisation du patrimoine culturel ;
  • La faible appropriation du patrimoine culturel par la population ;
  • Le retard accusé en matière d’utilisation des technologies digitales, au vu de leur importance dans le répertoriage du patrimoine culturel, son appropriation et sa transmission aux générations actuelles et futures, notamment pour les jeunes générations.

Sur la base de ce diagnostic partagé par les différentes parties, le CESE recommande l’adoption d’une stratégie nationale pour la protection, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine culturel fondée sur l’effectivité des droits, le respect de la diversité culturelle et l’implication des mécanismes de démocratie locale dans sa gouvernance.

Il s’agit d’œuvrer principalement à :

  1. Consolider et dynamiser les institutions et les outils opérationnels au service du patrimoine culturel en dotant notamment le département en charge du patrimoine culturel de l’expertise et des moyens nécessaires lui permettant de cartographier, d’inventorier, de sauvegarder et de mettre en valeur le patrimoine culturel dans des conditions satisfaisantes et conformes aux normes internationales en vigueur;
  2. Accorder une attention particulière au patrimoine immatériel :
    • en réalisant des monographies régionales pour inventorier les richesses locales en la matière ;
    • en renforçant sa codification et sa connaissance par des travaux académiques et scientifiques ;
    • en soutenant les porteurs du capital immatériel pour assurer la transmission de ce patrimoine.
  3. Garantir un financement national pérenne et diversifier les sources de financement en ayant recours au partenariat public-privé et au tiers secteur pour la sauvegarde, la réhabilitation et la mise en valeur du patrimoine.
  4. Décliner territorialement la stratégie nationale proposée pour la protection, la sauvegarde et la mise en valeur du patrimoine culturel dans une logique de subsidiarité.
  5. Favoriser les projets de mise en valeur du patrimoine culturel matériel et immatériel dans le milieu rural (architecture, ksours, kasbahs, chants, danses, traditions, art culinaire, ), notamment dans les zones montagneuses et/ou défavorisées et les intégrer dans les circuits touristiques culturels.
  6. Encourager les entreprises à se spécialiser dans les métiers de restauration des sites et monuments historiques.
  7. Systématiser le recours aux technologies lors de la cartographie de l’inventaire et privilégier le recours aux services d’archivage digital.
  8. Charger une personnalité publique, jouissant d’une grande notoriété et dont la légitimité est reconnue, de mener un plaidoyer efficace pour sensibiliser sur les enjeux de la valorisation de l’histoire et du patrimoine culturel national.